L’entreprise du futur est-elle une « entreprise » ?

Intervention du 14 février 2018 dans le cadre du séminaire sur l’entreprise du futur, organisé par Télécom École Management, IMT Atlantique et Mines Saint-Étienne dans le cadre du projet de recherche « Industry without borders ».

Synthèse :

Sommes-nous encore au début de la transformation numérique des entreprises, comme le laissent penser les discours sur l’intelligence artificielle, les plateformes, l’agilité et la « startupisation », l’économie collaborative, l’« industrie 4.0 »… ? Ou bien, au début de la période de désenchantement, qu’expriment l’inquiétude sur l’emploi face aux robots, la financiarisation, l’uberisation et la précarité, l’intrusion dans la vie privée, l’opacité des algorithmes (parfois pour leurs concepteurs eux-mêmes), ou encore l’irresponsabilité fiscale, sociale et écologique de nombreuses grandes entreprises ? Les deux, sans doute. Nous suggèrerons que, depuis des décennies, le numérique est à la fois l’outil et la source d’une transformation majeure : à savoir, la séparation fonctionnelle (et souvent organisationnelle) des composantes qui formaient ensemble ce qu’on désignait par entreprise – un dispositif de production et de commercialisation, un lieu et une communauté de travail, un espace de projets et d’innovation, etc. Il nous faudra probablement repenser en profondeur l’idée d’entreprise, voire forger de nouveaux mots.

 

Entreprendre en 2050 ?

imt_livreblanc_vf_webPostface au « Livre Blanc » de l’Institut Mines Télécom, « Entreprise du futur – Les enjeux de la transformation numérique » (ouvrage dirigé par Madeleine Besson)

 

Afin, comme on me l’a demandé, de considérer l’avenir de l’entreprise sous un angle un peu plus prospectif encore, il nous faut élargir la perspective au-delà de l’entreprise elle-même pour considérer le monde dans lequel elle évolue.

Pour répondre à une question du même ordre (« à quoi ressemblera l’entreprise de 2050[1] ? »), le prospectiviste Stowe Boyd fonde ses scénarios d’évolution sur les bifurcations possibles de trois tendances structurantes : la montée des inégalités et ses effets délétères sur le pacte social (mais pas forcément sur le financement de l’entrepreneuriat et l’innovation) ; le changement climatique et ses effets avancés (ainsi, peut-être, que les effets de stratégies ambitieuses destinées à le combattre) ; les développements de l’intelligence artificielle et de la robotique et ses effets sur l’emploi et le travail (qui dépendent cependant de la place que nous choisissons de leur laisser).

Les trois scénarios de Boyd méritent d’être lus et nous nous dispenserons de les résumer. Mais ils laissent affleurer quatre questionnements qui me semblent essentiels, et que la recherche ferait bien de s’approprier : sur l’avenir de l’entité « entreprise » elle-même, sur les apports contradictoires et ambigus du numérique, sur la persistance des conflits dans et autour de l’entreprise, et sur l’action d’entreprendre dans un monde fini.

Lire la suite »