Le futur, combien de divisions ?

Article paru dans L’Atelier des Futurs, 7 avril 2023

Le point de départ des « ateliers d’atterrissage » d’un récent projet de prospective sur le futur de l’Entreprise était pour le moins radical : il s’agissait d’imaginer qu’en 2050, l’entreprise s’était transformée en l’une des 12 entreprises fictionnelles imaginées en amont dans le cadre du projet, avec l’aide d’écrivains et d’écrivaines de science-fiction. Les participant·es n’avaient même pas le choix : ainsi, telle grande société d’assurance était devenue une sorte de réseau d’Ephad qui mettait les personnes âgées au travail en orbite terrestre, telle banque se transformait en une sorte d’agence de projets de régénération environnementale…

Toutefois, après un moment d’hésitation, les participants et participants parvenaient à raconter l’histoire qui reliait leur présent à ce futur arbitraire et, chemin faisant, laissaient surgir des questions essentielles sur leur entreprise, des bifurcations entre lesquelles elle aura à choisir, des signaux faibles auxquels elle ne prêtait jusqu’alors que peu d’importance.

Cet exemple invite à réfléchir sur ce qu’est le futur. Les futurs proposés n’étaient pas forcément souhaitables, ni tellement probables, voire pas vraiment possibles, et pourtant ils s’avéraient féconds. Chaque groupe travaillait dans un futur assez différent de celui des autres, et pourtant ils avaient des choses à se dire, des pistes à partager.

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Lettrés du futur

Article paru dans la revue Projet, n° 386 février-mars 2022

On connaît bien ce paradoxe : la connaissance des défis écologiques est établie et disponible, les personnes qui en ont conscience sont de plus en plus nombreuses, et pourtant cela ne se traduit pas en actes à la hauteur des enjeux. Nous savons ce qu’il faudrait quitter, mais pas à quoi ressemblerait le monde qu’il faudrait créer à la place.

Le système d’interprétation dont nous disposons – qui considère en particulier l’ensemble de la « nature » comme une ressource – ne fonctionne plus. Mais nous sommes collectivement incapables d’imaginer un monde soutenable. Voilà pourquoi la journaliste Naomi Klein et le porte-parole du mouvement international des « villes en transition », Rob Hopkins, disent du changement climatique qu’il traduit un « échec de l’imagination » (Horizons publics, n° 16, 2020).

L’article sur le site de la revue Projets >>

Eclairer son époque

Paru dans Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, dir. Lionel Simonot et Vincent Laganier, éd. Lightzoomlumiere, décembre 2021

À qui désespère de l’inaction écologique, le domaine de l’éclairage apporte une première bonne surprise : voici un secteur d’activité qui, non content d’avoir basculé vers une technologie très efficiente et à longue durée de vie (les LED), travaille aussi à faire moins : réduire, espacer, parfois interrompre l’éclairage – un peu pour économiser l’énergie, surtout pour mieux respecter les rythmes circadiens des humains et des autres êtres vivants.

Cela mérite d’être signalé. Cependant ce retrait (relatif) de l’éclairage n’est pas un retrait de l’éclairagiste. Autrement dit, l’artificialisation « perceptive », spatiale et temporelle, qu’opère l’éclairage, continue de progresser tout en se faisant plus intelligente, plus attentive, plus subtile. Mais si l’artificialisation elle-même est le problème, alors quoi ?

Voilà une question typique de prospectiviste. Un prospectiviste n’a pas pour fonction de prédire l’avenir, mais d’aider les acteurs à explorer des lieux imaginaires nommés « futurs » pour, au retour, ouvrir des possibilités, signaler des risques, suggérer des alternatives et des choix à faire dans le présent. C’est ce que nous essaierons de faire ici, à la lecture des articles qui composent ce recueil et dont émerge un premier constat : le sujet de l’éclairage offre une coupe très intéressante sur l’organisation du monde humain, les tensions qui le parcourent et les bifurcations qui se dessinent à l’horizon. Nous prolongerons ce constat autour de trois sujets : l’artificialisation et la (dis)continuité, le climat et les ressources, enfin les paradoxes de “l’intelligence”.
(…)

Le livre sur le site de l’éditeur >>

Explorer les futurs du travail à l’aide des arts et de la fiction : retour d’expérience

Article de Daniel Kaplan & Ingrid Kandelman paru dans Communication & langages, vol. 210, no. 4, 2021

La prospective est une discipline qui vise à agir dans le présent de manière à influencer le futur. Elle connaît aujourd’hui une forme de « tournant fictionnel » qui vise à mieux explorer des futurs en rupture, à rendre la pratique prospective plus inclusive et à permettre aux individus de prendre conscience de leur capacité à transformer leur environnement. L’article rend compte d’une expérimentation sur les futurs du travail fondée sur l’usage de la fiction. Entre 2018 et 2020, trois ateliers ont testé différentes approches auprès de publics issus d’entreprises. Ils ont montré que le recours à la fiction facilite l’établissement du dialogue au sein de groupes hétérogènes, qu’il aide les individus à s’abstraire des discours dominants sur le futur, et qu’il leur permet de se percevoir comme des acteurs du changement. En revanche, des méthodes restent à développer pour faciliter le passage entre l’imagination de futurs alternatifs et la construction de chemins concrets de transformation.

L’intégralité de l’article peut être consultée sur Cairn >>

Projet Narratopias : à la recherche de « nouveaux récits »

Daniel Kaplan & Chloé Luchs – Paru dans Usbek & Rica le 27 septembre 2021

Comment quelque chose d’aussi fragile qu’un (ou plusieurs) récits pourrait-il s’opposer à un phénomène aussi massif que le changement climatique ? Par la mutualisation des mots, des discours, des idées capables de faire bouger les lignes de notre système de représentation mentale. Tel est le projet de Narratopias, selon Daniel Kaplan et Chloé Luchs-Tassé.

Le temps est donc venu de produire les narratifs de demain », écrivait Laurence Monnoyer-Smith, ici-même, dans sa tribune du 19 mai, qui annonçait le projet Narratopias. Elle précisait : « ceux qui sauront susciter le désir des femmes et des hommes pour un autre monde, soutenable celui-ci. » Cet appel à un ou plusieurs « nouveaux récits » retentit un peu partout. Au Forum Économique Mondial : « nous avons besoin de nouveaux récits afin de rassembler en faveur d’un monde plus inclusif et durable à un moment où, comme l’affirme Greta Thunberg, « notre maison brûle » ». Chez Pablo Servigne, pourtant assez éloigné de Davos : « L’enjeu, aujourd’hui, est de s’accorder sur un récit (ou plusieurs), et de le co-construire ensemble. De s’ouvrir de nouveaux horizons. » Chez la philosophe Isabelle Stengers : « S’il existe une post-anthropocène qui mérite d’être vécue, celles et ceux qui l’habiteront auront besoin d’autres récits, où aucune entité n’occupe le centre de la scène. »

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De qui l’identité numérique simplifie-t-elle la vie ?

Tribune parue dans Acteurs Publics, n° 150, mars-avril 2021

Depuis que l’informatique est devenue « le numérique », les deux ont à résoudre une contradiction : ils se présentent généralement comme un facteur de simplification du quotidien, alors qu’ils en accompagnent la complexification[1] continue – personnalisation, multiplication des choix et des canaux, innovation permanente, etc. Le chantier multiforme de l’identité numérique régalienne et sécurisée n’échappe pas à cette tension. Depuis au moins dix ans, les « solutions » se multiplient et se contredisent parfois, elles ne remplacent pour ainsi dire jamais l’existant mais s’y ajoutent, créant un écheveau que les utilisateurs auront la charge de démêler comme ils le pourront.

Les différents projets d’identité numérique régalienne ont un autre point commun : ils suscitent chaque fois toutes sortes d’études pour en explorer les usages[2]. Même s’il en ressort forcément des idées intéressantes, ces études suscitent tout de même une interrogation : au-delà de quelques usages évidents (la sécurisation des titres officiels, par exemple), l’identité numérique publique et sécurisée n’est-elle pas une réponse à la recherche de ses questions ? Certes, tout le monde préfère des démarches administratives (et autres) simples et sûres, mais avons-nous vraiment besoin d’un tel dispositif pour cela ? Vu de l’usager, quels problèmes un bon gestionnaire de mot de passe et des vraies démarches de simplification administrative ne pourraient-ils pas résoudre presque aussi bien ?

Simplifier la vie, mais de qui ?

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Designing for desirable visions: pitfalls and challenges

A written contribution to the « Sens Fiction » exhibition that took place in Lille in 2020.

« Design can easily produce desirable imaginary visions that concretely engender nothing desirable. To go beyond this, it needs a new philosophy, which itself would be part of a political vision. It’s about awakening to the responsibilities that accompany the power of this practice, but not simply this, because everyone these days says that they are responsible. It’s more about questioning the outcomes and co-producing other outcomes (in a real situation, with the stakeholders involved), while mastering the path forward, to avoid the eternal commercial take-over, and leaving the field open to appropriations and re-uses. It’s about liberating the field from its sponsors, without working far beyond its purview. »

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«Seule l’imagination peut nous permettre de dépasser le mur de la singularité technologique et de l’effondrement»

Il arrive que des intellectuels, des hommes politiques, après avoir longtemps expérimenté sur le terrain et accompagné les processus d’innovation, finissent par faire un même constat : la transformation de nos modèles de société dépendrait moins d’un sursaut technologique ou décisionnel que d’un travail volontaire et plus affirmé sur nos imaginaires.

Aux côtés de Rob Hopkins, dont les thèses ont été à plusieurs reprises abordées dans ce numéro, c’est le cas de Daniel Kaplan, co-fondateur de la Fondation Internet nouvelle génération (FING) au début des années 2000 et de l’Université de la pluralité en 2019, dédiée à cet enjeu. Nous avons ainsi souhaité conclure ce numéro par ce grand entretien à propos de l’enjeu à la fois critique et déterminant du développement de nouveaux imaginaires pour les générations actuelles et au sein même de l’action publique.

L’entretien sur le site d’Horizons Publics (accès abonnés) >>

Introduction au dossier « Les nouveaux imaginaires de l’action publique territoriale » (pdf) :

Designer pour des imaginaires désirables: pièges et défis

Contribution (écrite et vidéo) à l’exposition « Sens Fiction », présentée lors de la manifestation Lille Capitale Européenne du Design, 2020.

Sens Fiction

« Le design peut sans difficulté produire des imaginaires désirables qui n’engendrentrien de désirable. Pour aller au-delà, il a besoin d’une nouvelle éthique, elle-même inscrite dans une vision politique. Il s’agit de prendre conscience des responsabilités qui accompagnent la puissance de cette pratique, mais pas seulement, parceque tout le monde aujourd’hui se dit responsable. Il s’agit de questionner les fins, de coproduire (en situation et avec les parties prenantes) d’autres fins, tout en maîtrisant le chemin pour éviter l’éternelle récupération marchande, et tout en laissantle champ ouvert aux appropriations et réutilisations. Il s’agit de se libérer des commanditaires sans pour autant travailler hors sol. »

Le texte et la vidéo sur le site de l’exposition >>