Projet Narratopias : à la recherche de « nouveaux récits »

Daniel Kaplan & Chloé Luchs – Paru dans Usbek & Rica le 27 septembre 2021

Comment quelque chose d’aussi fragile qu’un (ou plusieurs) récits pourrait-il s’opposer à un phénomène aussi massif que le changement climatique ? Par la mutualisation des mots, des discours, des idées capables de faire bouger les lignes de notre système de représentation mentale. Tel est le projet de Narratopias, selon Daniel Kaplan et Chloé Luchs-Tassé.

Le temps est donc venu de produire les narratifs de demain », écrivait Laurence Monnoyer-Smith, ici-même, dans sa tribune du 19 mai, qui annonçait le projet Narratopias. Elle précisait : « ceux qui sauront susciter le désir des femmes et des hommes pour un autre monde, soutenable celui-ci. » Cet appel à un ou plusieurs « nouveaux récits » retentit un peu partout. Au Forum Économique Mondial : « nous avons besoin de nouveaux récits afin de rassembler en faveur d’un monde plus inclusif et durable à un moment où, comme l’affirme Greta Thunberg, « notre maison brûle » ». Chez Pablo Servigne, pourtant assez éloigné de Davos : « L’enjeu, aujourd’hui, est de s’accorder sur un récit (ou plusieurs), et de le co-construire ensemble. De s’ouvrir de nouveaux horizons. » Chez la philosophe Isabelle Stengers : « S’il existe une post-anthropocène qui mérite d’être vécue, celles et ceux qui l’habiteront auront besoin d’autres récits, où aucune entité n’occupe le centre de la scène. »

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La fiction pour débattre de la prospective spatiale

« En juin 2018 s’est tenu le premier débat public et participatif autour de l’éthique de l’exploration spatiale, organisé par Space’ibles, l’observatoire de prospective spatiale du CNES (Centre national d’études spatiales). Futuribles s’est associé à l’exercice en alimentant la réflexion au moyen de courtes fictions présentant divers scénarios d’évolutions possibles dans le domaine spatial, n’ayant pas tous les mêmes conséquences sur le plan éthique. Daniel Kaplan, qui a menéa cet exercice, présente ici les différentes fictions proposées : « Mars à tout prix » ; « Les gardiens de l’espace » ; « Les Terriens d’abord » ; « L’embarcadère de l’arche spatiale ». Il montre également l’intérêt du recours à la fiction pour alimenter les débats relatifs à l’éthique de la conquête et de l’exploration spatiales. Enfin, il présente les premiers résultats de ce débat participatif et les suites qui pourraient en découler. »

Retrouver l’article dans la revue Futuribles >>

Daniel Kaplan, « La fiction pour débattre de la prospective spatiale – Point sur une expérimentation », Futuribles, n° 430, mai-juin 2019

Interview : comment construire de nouveaux imaginaires et une vision stratégique ?

Entretien avec Corinne Moreau et Dominique Karadjian de l’agence Backstory, pour le site Imaginer demain, paru le 29 janvier 2019.

« J’ai lancé dans un premier temps Le projet Imaginizing The future, un néologisme qui veut dire « rendre imaginable » . Ce projet a pour vocation d’appuyer la production et la détection de travaux imaginaires sur le futur, dans un contexte  multiculturel international et surtout multidisciplinaire (prospective, sociologie des sciences et techniques, recherches sur l’innovation radicale, design, arts). Très vite, je m’aperçois que d’autres personnes en France et à l’étranger ont, heureusement, une idée relativement proche : des laboratoires, des auteurs de science-fiction qui imaginent d’autres pensables, des artistes… L’enjeu était donc que je ne rajoute pas ma voix seule à ce mouvement mais au contraire que j’accompagne la mise en place d’un réseau international pour que ces artistes et entrepreneurs venant d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud puissent travailler ensemble et enrichir la prospective par une approche moins occidentale et cartésienne. J’avais conscience qu’ils ne seraient pas d’accord sur le futur qu’ils désirent. Mais l’idée est d’en faire une fonction plutôt qu’un problème : les réunir afin de créer cet espace permettant de faire émerger d’autres récits écrits avec leurs mots, leurs histoires et leurs propres conceptions du futur. (…) »$

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Transition², un an après (2/2) : pas de transition écologique sans intention

Résumons… La transition écologique vers laquelle nous devons aller est extraordinairement profonde. Aucune prouesse technologique n’y suffira, si elle n’accompagne pas une transformation de notre modèle de développement, voire de vie. Une transformation aussi profonde paraît peu vraisemblable sans le numérique, mais le numérique tel qu’il se propose aujourd’hui n’a pas de réponse convaincante… Faut-il changer de regard sur le numérique ?

De quel numérique parlons-nous ?

La question-clé de Transitions² devient donc : « Comment le numérique (et l’innovation, et la technologie en général) peu(ven)t-il(s) contribuer à la transition écologique au-delà de ses (leurs) apports en termes d’efficience et de dématérialisation ? »

Pour y répondre, nous avons dû préciser un certain nombre d’idées et de concepts, qui forment sans doute l’acquis le plus solide de cette première année du programme : que désignons-nous par « numérique » ? Quels leviers d’action peut-il actionner au service de la transition écologique ? Quels modèles d’interaction, de coopération, de décision, économiques, d’innovation, invite-t-il à explorer ?

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la « Big Society » : l’échec d’un modèle de transition fondé sur l’innovation sociale ?

Dossier et analyse documentaire – Août 2014

“The big society is a society in which individual citizens feel big: big in terms of being supported and enabled; having real and regular influence; being capable of creating change in their neighbourhood.”

What Is the Big Society?”, The Big Society Network

“We want to give citizens, communities and local government the power and information they need to come together, solve the problems they face and build the Britain they want. We want society – the families, networks, neighbourhoods and communities that form the fabric of so much of our everyday lives – to be bigger and stronger than ever before. Only when people and communities are given more power and take more responsibility can we achieve fairness and opportunity for all.”

Building the Big Society”, Cabinet Office, 2010

Quand on cherche à s’informer sur la Big Society en août 2014, on constate que la page qui lui était consacrée sur Gov.uk s’intitule désormais “Community and society” ; qu’il n’y a plus de mot-clé “Big Society” sur le site du Premier ministre David Cameron ; que le site du “Big Society Network” est désactivé depuis le 1er août au profit d’une seule page, un long plaidoyer sur l’usage des fonds publics et des donations attribuées à cette organisation non lucrative… 5 ans après être apparue en fanfare dans le débat politique britannique, la “Big Society” sent visiblement le soufre. Pourtant, à y regarder de près, les idées qui l’inspir(ai)ent viennent de loin et d’une grande diversité d’horizons ; elle a donné naissance à des réalisations solides, à côté d’échecs marquants ; et la Big Society n’a pas disparu des esprits, y compris à gauche, y compris hors du Royaume-Uni.

Pourquoi cette survivance ? Sans doute parce qu’à notre époque de techniciens de la gouvernance, il s’agit probablement d’une des rares tentatives contemporaines de fonder un programme politique complet sur une architecture philosophique et morale – qui plus est, empruntée tant à la gauche qu’à la droite, et enracinée tant dans les traditions politico-religieuses anglo-saxonnes, que dans les cultures alternatives du community organizing, de l’empowerment et bien sûr, de l’internet.

C’est pourquoi il paraît nécessaire de s’y intéresser dans le cadre d’une prospective des “transitions”.

Dossier intégral à consulter en Google Doc (accessible à tou·tes) >>
SOMMAIRE

1. Modèle contre modèle : “Société providence” contre “Etat providence”

Formuler une réponse (conservatrice ?) à la “crise de l’Etat Providence”

Une construction philosophique cohérente – ou deux

2. La Big Society en pratique

Des promesses largement suivies d’effets, sinon de résultats

Des résultats globalement décevants

En termes d’empowerment des communautés locales

En termes d’ouverture des services publics

En termes d’action sociale

Pour la société dans son ensemble

3. Quel est l’héritage de la Big Society ?

Qu’est-ce qui a manqué ?

Un manque de conviction

Une contradiction interne majeure

Une mauvaise compréhension de l’état de la société

Une insuffisance “cognitive” ?

Une idée qui bouge encore

Des réussites incontestables et sans doute durables

Une idée qui retrouve de l’écho à gauche

L’innovation sociale comme chemin vers le bien commun, la Big Society sans le nom ?

Bibliographie sommaire

 

 

Soutenir l’innovation… hétérodoxe

Cette tribune a été publiée dans le journal Le Monde le 30 mai 2013.

« Nous rêvions de voitures volantes et à la place, nous avons eu 140 caractères » (ceux de Twitter ou du SMS) : cette accroche du “manifeste » d’un fonds de capital-risque américain, résume merveilleusement de qui change dans l’innovation contemporaine – et par conséquent, le défi que la nouvelle tranche annoncée des « Investissements d’avenir » doit relever.

L’innovation dans un monde ultra-connecté devient continue, écosystémique, agile, protéiforme et parfois militante. Des marchés entiers (ceux des « biens culturels », pour commencer) se reconfigurent autour de nouvelles plates-formes qui favorisent à leur tour de nouveaux modèles économiques, de nouvelles formes de consommation. Des appareils qui tiennent dans la poche en contiennent plusieurs dizaines d’autres : téléphone, baladeur, livres, GPS, caméra, boussole, console de jeu, niveau à bulle, lampe de poche… Dans le projet Wikispeed, un groupe d’individus dispersé sur tout le territoire nord-américain a conçu et réalisé en 3 mois une automobile autorisée à rouler aux Etats-Unis, et qui consomme beaucoup moins que ses concurrentes. Wikipedia ouvre quotidiennement à des millions de gens l’accès à des contenus encyclopédiques – et offre à plusieurs dizaines de langues du monde leur première encyclopédie. Des « entreprises sociales » s’efforcent de réinventer le crédit aux plus pauvres, le recyclage, l’usage collectif de véhicules ou d’équipements ménagers…

Image : « Nous rêvions de voitures volantes et à la place, nous avons eu 140 caractères », la devise du Manifeste de Funders Fund.

Mais tout cela, nos dispositifs de soutien à l’innovation ne savent pas le voir. Par habitude, par facilité, par conviction parfois, ils privilégient d’une manière presque exclusive des projets dont l’innovation technologique constitue le principe directeur – ce qui n’est le cas d’aucun des exemples qui précèdent, dont, pourtant, on peut difficilement contester le caractère innovant. Personne n’en est vraiment coupable : on fixe des priorités (aujourd’hui « Le numérique, la transition énergétique, la santé, les grandes infrastructures, les nouvelles technologies »), des spécialistes condensent leur vision des enjeux sous la forme d’appels à projets, d’autres jugent les projets qui leur arrivent à l’aune de leurs convictions communes… et tout ce qui sort des clous, les idées en rupture, les « simples » innovations de service ou de modèle d’affaire, leur reste invisible.

A côté de l’innovation technologique, qui demeure bien sûr importante, une autre innovation monte en puissance et c’est bien souvent elle qui change la vie et reconfigure les marchés. Pire, la focale technologique peut empêcher de voir cette autre innovation. Prenons l’exemple de la santé : nos formes habituelles de financement de l’innovation sauront-elles reconnaître l’importance des réseaux de patients, l’émergence de la génomique personnelle, la multiplication des dispositifs individuels de mesure, voire d’autodiagnostic ? Ces projets nous dérangent, parfois pour d’excellentes raisons : du coup nos dispositifs publics choisissent de ne pas les voir, au risque de laisser les ruptures se produire sans du tout les avoir anticipées, sans en être acteurs.

D’où ma recommandation sur l’usage des 10 milliards supplémentaires alloués aux « Investissements d’avenir » : faites comme d’habitude. Mais sur 90 % de cette somme. Réservez-en 10 %, juste 10 %, pour financer des projets hétérodoxes, dérangeants, inattendus, qui n’entrent dans aucune case. Trouvez le moyen d’en financer beaucoup, d’une manière simple et rapide, avec des petits tickets et des clauses de revoyure. Acceptez autant les projets commerciaux que ceux qui produiront des biens communs ou des produits “libres”, dès lors qu’on peut en attendre un effet de levier économique. Osez cela, puis comparez les résultats. On parie qu’ils vous étonneront ?

Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation internet nouvelle génération (Fing).